Épousant de nouvelles formes, aidant de nouveaux publics, cette discipline longtemps marginale se diffuse avec force.
Faire un collage pour libérer sa colère, improviser au théâtre à partir d'un souvenir familial, dessiner ce que serait son horizon sans dépression… Il semble bien loin le temps où des artistes du macramé ou de «l'expression libre sur toile» venaient animer des ateliers dans les services de psychiatrie lourde. Désormais, la médiation artistique s'immisce partout: auprès des personnes atteintes de troubles autistiques, des délinquants, des endeuillés… mais aussi auprès de chacun d'entre nous. L'arrivée massive de «journaux créatifs» et autres «carnets d'expression artistique» chez nos libraires en atteste ; le succès des ateliers «collages» ou «aquarelle» aussi. La créativité, ressource potentielle en chacun de nous et qui ne demanderait qu'à être réveillée, apparaît comme le dernier sésame anticrise.
Pour l'art-thérapeute Laurence Bosi, fondatrice des Médecins de l'imaginaire en cancérologie et du Laura Lab - agitateur de créativité -, c'est là le premier effet tangible d'une plongée dans une expression artistique: offrir une bulle à celui qui peut alors sortir de son mal-être. «Nous l'observons bien auprès des malades, notamment les enfants confrontés aux traitements lourds ou à l'hospitalisation: dessiner ou visualiser leur permet d'échapper un instant à leur réalité présente. Créer, c'est d'abord être dans un état différent.»
À la recherche du «flow»
Lorsque la personne a trouvé son «truc», cette activité qui la recentre en lui faisant éprouver du plaisir, elle peut même expérimenter le «flow» - ou flux. Théorisé en psychologie positive, cet état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction se caractérise par une absorption totale dans l'occupation.
Anne Orsini de Lyée, qui, à travers ses ateliers de L'Eau rieuse, accueille des personnes endeuillées et leur propose notamment d'explorer des poèmes comme «leviers de vie», le constate: «Souvent, meurtris par leur chagrin, ils arrivent avec de grandes difficultés de concentration, de mémoire et sans désir, explique l'art-thérapeute. Explorer en groupe l'univers poétique, et notamment des poèmes courts, leur permet de relire, réciter, parfois réécrire en changeant quelques mots… C'est alors une posture d'ouverture à la vie qui est à nouveau rendue possible pour eux.»
L'art-thérapie, parce qu'elle confirme et permet d'appliquer les découvertes récentes en neurosciences, psychologie positive ou mindfulness, retrouve ainsi, en tant que soin de support ou accompagnement au changement, de belles couleurs. «Intégrative - même si certaines querelles de chapelle ont pendant longtemps empêché son expansion, estime Laurence Bosi. Elle offre un regard autre que ceux, plus mentaux, de la psychiatrie classique et de la psychanalyste. Elle permet à une sensibilité humaniste de se déployer et de devenir un point d'appui.»
«Une nouvelle page blanche»
Et de citer en exemple le travail auprès d'enfants agités, sous pression parentale et scolaire permanente, qui peuvent trouver dans un atelier «contes» ou «collages» une liberté devenue rare ; des adultes confrontés toute la journée à l'accélération de la vie, au «multi-tasking» et qui, pendant quelques heures, reprennent souffle en dessinant…
Pour autant, et c'est là son intérêt principal sans doute, cette production artistique explorée en séance ne se limite pas à quelques objets qui finiront sur une étagère. Comme le demandait le psychiatre américain Rollo May: «Et si l'imagination et l'art n'étaient pas, comme on le croit trop souvent, une parure superficielle de la vie mais plutôt la source essentielle de toute expérience humaine?»
Ce qui se vit en séance d'art-thérapie, ce cheminement qui entraîne la personne, dans un cadre précis, à expérimenter sa liberté créatrice a des répercussions tangibles dans sa vie.
«À travers ce parcours artistique, on réalise que chaque jour est un peu comme une nouvelle page blanche, affirme Laurence Bosi. On peut toujours repartir de zéro, créer à partir du vide et, si on s'est trompé à un moment, faire quelque chose de ses erreurs! L'art-thérapie est en ce sens une école de la plasticité et de l'adaptation. Elle enseigne, bien mieux que les mots seuls, que la vie est malléable.»
Autre apport majeur: la possibilité de pratiquer en groupe et ainsi rencontrer des pairs, mais toujours singuliers, à un niveau différent du lien social ou affectif habituel. «Souvent, les endeuillés qui souffrent de ressasser leur peine se retrouvent isolés, observe Anne Orsini. L'exploration collective de la poésie ou du théâtre leur permet de “remettre de l'autre en beauté” dans leur vie.» Une promesse en effet des plus séduisantes à l'heure où ce sont les antagonismes qui triomphent.
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